Pourquoi ça ne va pas plus mal ?

Pourquoi ça ne va pas plus mal ? — Patrick Viveret

Dossier : fayard
Fichier : Transfor
Date : 13/1/2005
Heure : 16:00
http://grit-transversales.org/article.php3?id_article=83

De multiples signaux alertent l’humanité sur les dangers qui la menacent, et tout se passe comme si, à l’échelle planétaire, l’espèce humaine ne se sentait pas concernée, comme si les voix de plus en plus nombreuses et inquiètes de groupes de citoyens n’étaient que le fruit de l’imagination de contestataires ignorants et irresponsables.

Et pourtant, contrairement à ce que pourrait laisser croire un certain fatalisme ambiant, l’essentiel des problèmes auxquels l’humanité est confrontée peut trouver des solutions. À condition de comprendre que la plupart des difficultés ne se situent pas dans l’ordre de l’avoir, celui des ressources physiques, monétaires, techniques, mais dans l’ordre de l’être, de la façon de concevoir sa place dans l’univers, de donner un sens à sa vie, de s’en sentir responsable et de se montrer solidaire de la vie des autres.

Le message de Patrick Viveret, c’est que l’humanité peut se sauver par la lucidité, la prise de conscience des manipulations dont elle fait l’objet, ou se perdre si elle continue à se laisser égarer par des discours qui n’ont plus de sens. Il montre comment, pour poursuivre leur aventure, utiliser pleinement les potentialités qu’ouvrent les révolutions de l’intelligence et du vivant en réduisant leurs risques, hommes et femmes doivent inventer une autre vision du politique, pleinement écologique, citoyenne et planétaire qui placerait le désir d’humanité au cœur de sa perspective.


Conférence à "Terre à Terre", le 7 mai 2005



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Extraits du livre

Ces extraits incluent la conclusion de l’ouvrage et la table des matières.

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Conclusion

Grandir en humanité

L’humanité dont il s’agit de sauvegarder les conditions de survie et de développement ne se résume pas à l’espèce biologique. Il ne va pas de soi en effet qu’une espèce qui a dominé ou détruit une bonne partie des autres formes de vie et développé une sauvagerie inédite à son propre endroit mérite d’être préservée. L’humanité digne d’attention, ce n’est évidemment pas celle qui a inventé les massacres et les carnages, les génocides et les faits totalitaires. C’est celle porteuse d’un potentiel à peine exploré d’humanisation qui devrait constituer la suite, sur les plans culturel, éthique et politique, du processus d’hominisation entamé sur le plan biologique il y a plusieurs dizaines de millions d’années. Nous ne sommes pas des Homo sapiens. Nous avons à le devenir si nous voulons échapper aux logiques destructrices que les nouvelles formes de guerre civile imposent à notre communauté humaine.

Le grand problème qui nous fait face, c’est en effet de savoir que faire de notre désir et de notre conscience de la mort. Dans cette perspective, la question fondamentale de la valeur, du bien-être, devient : comment grandir en humanité, ou comment construire un voyage de vie passionnant sur les plans tant individuel que collectif ? Vivre intensément ce voyage ne signifie évidemment pas qu’il sera un « long fleuve tranquille », ni qu’il ne sera traversé par aucune épreuve ou souffrance. Le métier d’être humain, le « ministère d’humanité », est certainement l’une des formes les plus difficiles du voyage de la vie, car c’est un voyage conscient. Il ne peut être pleinement vécu que si nous prenons garde à ne pas borner notre projet de vie à celui d’un « mammifère consommant », pour reprendre une expression suggestive de Catherine Dolto 1 !

Mais nous ne pourrons « grandir en humanité » qu’à la condition que nos systèmes de référence collective ne nous maintiennent pas dans un état infantile. Or les deux grandes idéologies du XIXe et du XXe siècle se sont construites soit, à l’instar du collectivisme, sur la nostalgie du stade fusionnel, soit, comme le capitalisme, sur un modèle de comparaison rivale correspondant en réalité au processus d’individuation qui se met en place, pour l’essentiel, entre 3 et 7 ans 2.

Or, entre 7 et 77 ans, il y a de la marge, pour un individu mais aussi pour une collectivité ! Et on peut grandir en humanité sans être condamné au retour à la régression fusionnelle, qui ferait disparaître notre individuation, ou encore à la stagnation au stade infantile, dans lequel le capitalisme et la société de marché nous maintiennent en nous faisant croire que nous ne pouvons exister comme individus qu’en considérant les autres comme des rivaux.

En réalité, grandir en humanité dans la création et dans la coopération avec autrui est possible si notre désir se situe dans l’ordre de l’être, et non de l’avoir et de la possession. Tout ce que je ferai au niveau individuel pour vivre ma vie intensément, pour être à la bonne heure, sera aussi une occasion d’être mieux dans mes rapports avec l’univers (recherche de la beauté et de la vérité), avec autrui (l’amitié comme alternative à la rivalité) et avec moi-même (la sérénité comme alternative à la guerre, ou à la tension intérieure).

Bruno Bettelheim a montré, dans sa célèbre Psychanalyse des contes de fées 1, combien il est important, pour l’enfant qui connaît le tourbillon de ses émotions intérieures et sait qu’il ne correspond pas au modèle idéal de l’enfant innocent que lui renvoient les adultes, de pouvoir s’identifier à travers les contes à des êtres qui, comme lui, vivent des émotions contradictoires. Car nous sommes tous, à des degrés divers, des métis, et notre métissage est autant physique qu’éthique et psychique : la part de liberté qui est la nôtre crée en permanence une marge de jeu qui peut nous faire évoluer individuellement et socialement, le long d’un spectre très large d’attitudes, qui vont du meilleur au pire.

Sortir des logiques binaires est donc essentiel si l’on veut traiter positivement le problème politique central de ce siècle en train de naître dans la violence : l’humanité ne peut apprendre à s’autogouverner que si elle construit sa pacification sur la lutte contre sa propre inhumanité, bref si elle est capable de s’attaquer à sa propre « maltraitance ». Sortir des logiques de peur

Car la grande difficulté de l’homme, quel que soit l’état de la technique à un moment donné, a toujours été le désamour et la peur. C’est par peur de l’avenir et par peur d’autrui que des êtres humains accumulent de la richesse ou du pouvoir au détriment d’autres, placés ainsi artificiellement en situation de pénurie. Dans nos sociétés contemporaines obsédées par la compétitivité, la peur de la vieillesse et de la mort conduit à un formidable accaparement mondial de richesses à travers le financement, via les fonds de pension, de la retraite des personnes âgées d’Occident et singulièrement des États-Unis. Les centaines de milliards de dollars du déficit américain qui ont alimenté la croissance artificielle de Wall Street ces dernières années viennent en grande partie de cette ponction sur la richesse mondiale.

Nous l’avons dit : nos sociétés sont malades, au sens propre et pas seulement figuré, de la formidable angoisse que génèrent le discours économique et le discours médical dominants, dont le point commun est de considérer la vie comme un combat et la mort comme un échec. Les humains qui adhèrent à une telle vision sont naturellement conduits à passer l’essentiel de leur existence à se droguer de multiples manières pour tenter d’oublier une histoire qui les condamne à la soli- tude et au non-sens. Tous ne jettent pas leur dévolu sur des drogues dures, ni même sur d’autres subs- tances reconnues comme toxiques, tels le tabac, l’alcool ou les tranquillisants ; certains se droguent aussi à l’argent, au travail ou au pouvoir...

C’est donc à une véritable entreprise de désin- toxication qu’il nous faut nous atteler, et, comme toute entreprise de ce genre, elle n’est possible que si un mieux-vivre est possible. C’est pourquoi l’art de vivre, la capacité à surmonter la peur et le développement de logiques de coopération constituent les axes majeurs d’un projet politique pour le siècle, un projet qui prendra la forme d’une vision et d’une stratégie positives de la mondialité.

Nous parviendrons ainsi, comme l’écrivent Anne Brigitte Kern et Edgar Morin dans Terre-patrie 1, à sortir de l’âge de fer planétaire et à accomplir un progrès significatif dans la voie de l’humanisation, après avoir franchi – non sans mal, on le voit dans le documentaire L’Odyssée de l’espèce 2 – les différentes étapes biologiques de l’hominisation. Tel pourrait être le désir d’humanité qui serait au cœur d’un projet à la fois pleinement personnel et pleinement politique pour le siècle que nous allons inventer.

Table des matières


Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11


                    PREMIÈRE PARTIE

         QUAND L’HUMANITÉ RISQUE LA SORTIE DE ROUTE...

I.    Le signal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .           21
II.   Les coûts du mal-être . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                         29
III.  L’humanité a rendez-vous avec elle-même . . . . . . . . . . . . . . . . .           39
IV.   Nous ne sommes pas (que) des mammifères rationnels ! . . . . . . . . .              45
V.    Une drôle de guerre économique... . . . . .                                         57
VI.   Charges et prélèvements : quand les comptes cachent des contes . . . . .            67
VII.  Dépression économique ou dépression culturelle ? . . . . . . .                      83
VIII. Le retour de la peste émotionnelle . . . . .                                        93


                     DEUXIÈME PARTIE

         L’ART DE VIVRE, UN ENJEU POLITIQUE

I.    Plaidoyer pour Éros . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                        107
II.   La leçon d’Einstein . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                      121
III.  Trois questions radicales . . . . . . . . . . . . . . . .                          129
IV.   Changer notre rapport à l’argent . . . . . . .                                     135
V.    Changer notre rapport au pouvoir . . . . .                                         149
VI.   Changer notre rapport à la vie et au temps . . . .                                 157
VII.  Au-delà des « langages antérieurs » . . . .                                        163


                     TROISIÈME PARTIE

       UN AUTRE MONDE EST POSSIBLE, D’AUTRES MONDES SONT DÉJÀ LÀ

I.    Construire l’humanité en sujet politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .   173
II.   L’émergence d’un mouvement civique mondial . . . . . . . . . . . . . . . . . . .   181
III.  L’Europe face à la question mondiale et à la question humaine . . . . . . . . . .  187
IV.   Le choix de la France . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                        197
V.    Que le meilleur gagne ! . . . . . . . . . . . . . . . . .                          211
VI.   Articuler transformation personnelle et transformation collective . . . . . . . .  215
VII.  Un projet pour réussir les rendez-vous critiques de l’humanité . . . . . . . . . . 217
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                   227


                    ANNEXES

Annexe I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .       235
Sur les nouvelles approches monétaires et le projet SOL . . . . . . . . . . . . . . . .  235
Pour un autre regard sur la richesse ! . . . . . . . . .                                 242
Annexe II. Un autre rapport au pouvoir : le projet « Objectif civique 2007 » . . . . . . 249
Pour 2007, votez Y ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                 249
Un pouvoir à créer plutôt qu’à prendre . . . . . . .                                     252
Construisons nos désaccords pour faire de nos différences un atout . . . . . . . . . . . 253
Annexe III. L’humanité a rendez-vous avec elle-même. Appel pour un engagement mutuel . . 257
Liste des encadrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .               261

Conférence de Patrick Viveret « une nouvelle approche de la richesse, pour un développement humain soutenable »

par Sylvain Bouchard / Scop la Péniche le 19 décembre 2008
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