Joseph Stiglitz

Joseph Stiglitz

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Présentation

Joseph Eugene Stiglitz est un économiste américain né le 9 février 1943 qui reçut le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel en 2001 (pour un travail commun avec George Akerlof et Michael Spence). Il est un des fondateurs et un des représentants les plus connus du « nouveau keynésianisme ». Il a acquis sa notoriété populaire à la suite de ses violentes critiques envers le FMI et la Banque mondiale, émises peu après son départ de la Banque mondiale en 2000, alors qu'il y était économiste en chef.

Parmi les recherches les plus connues de Stiglitz figure la théorie du screening, qui vise à obtenir de l’information privée de la part d’un agent économique : cette théorie, avec les lemons d’Akerlof et l’effet signal de Spence, est à la base de l’économie de l'information et du nouveau keynésianisme. Il s'intéresse aussi à l'économie du développement.

« J’espère que mon livre ouvrira un débat ». Bardé de diplômes, d’honneurs et de prix, dont l’illustrissime Nobel d’économie, reçu en 2001, Joseph Stiglitz a une fois de plus été comblé : son livre, La Grande Désillusion, a suscité des réactions, souvent passionnées, dans le monde entier. Il lui a aussi valu des attaques en règle de la part des partisans de sa cible : le Fonds monétaire international. Car ce néo-keynésien n’a de cesse de dénoncer le « fanatisme du libre-marché cher au FMI » et le « capitalisme des copains ». Lui qu’on a laissé pénétrer dans le cénacle restreint des décideurs mondiaux a osé témoigner de leur « grande hypocrisie ». Bref, il a trahi.


Né en 1943 à Gary dans l’Indiana, Stiglizt est considéré comme l’un des économistes les plus brillants de sa génération. Au cours de sa carrière universitaire, qui l’a mené à Yale, Princeton, Oxford et Stanford, où il enseigne actuellement, il a notamment contribué à créer une nouvelle discipline, l’économie de l’information.

En 1993, il fait le grand saut : il entre dans le très fermé Council of Economic Advisers de la Maison blanche, où il devient le principal conseiller économique de Bill Clinton. En 1997, il intègre la Banque mondiale en tant qu’économiste en chef et vice-président. Mais le parcours de « Joe » Stiglitz connaît son premier bug en l’an 2000. En janvier, il démissionne avec fracas car il estime que la tutelle du FMI ne lui laisse pas les coudées franches pour faire une réalité de la devise de la Banque mondiale : « Notre rêve : un monde sans pauvreté ».

Les fruits de la perversion financière

Par Nicolas Leron (NonFiction) - Mardi 16 septembre 2008 - 18:00

Analysant les raisons de la crise financière mondiale et réagissant à l’annonce de la faillite de la banque Lehman Brothers, Joseph E. Stiglitz, professeur à la Columbia University et Prix Nobel d’économie en 2001, publie un article plein d’amertume dans The Guardian, intitulé "The fruit of hypocrisy".

L’hypocrisie générale et insidieuse sur laquelle repose le système de la finance mondiale est tenue par l'auteur pour la source première de nos maux actuels. Malhonnêteté de la part des institutions financières et incompétence de la part des politiques, tels sont les fruits de la crise, provoquant la colère de l'ancien conseiller de Bill Clinton.

Joseph Stiglitz semble ne pas trouver de mots assez âcres pour décrire un système dont il met à jour sans concession les fondements qui nous apparaissent tant nauséabonds qu’absurdes. La globalisation de la finance débouche d'après lui sur une dérégulation maximale des flux de capitaux tout en déresponsabilisant les acteurs fianciers privés qui se reposent, en cas d'erreur d'évaluation des risques, sur l’État et in fine le contribuable. La masse critique des institutions financières leurs permet, en cas de menace de faillite, d’obliger les pouvoirs publics d’intervenir, au risque de voir le système sombrer dans sa globalité. L’argument du risque systémique se comprend comme le mécanisme de report sur l’État de la responsabilité d’acteurs financiers privés qui tirent pourtant leurs profits colossaux d’un système qu'ils veulent dérégulé et censé fonctionner sur la loi du marché, donc sur la sanction des choix économiques erronés.

Mais au-delà du constat de l’effondrement de la confiance, sur laquelle reposait la finance mondiale, la capacité des pouvoirs publics de reprendre en main la crise est sérieusement mise en doute par l’économiste. En effet, comment placer sa confiance dans une administration associée à la gestion calamiteuse de l’ouragan Katrina et à l’enlisement de la première armée du monde armée en Irak ?

Joseph Stiglitz conclut, amer, sur la perversion d’un système dont les individus les plus qualifiés s’attèlent à contourner, avec succès, les normes dédiées à la sécurisation du système bancaire. Les propos acerbes du premier représentant du "nouveau keynésianisme" sont sans appel

Travaillons moins pour être plus heureux !

Par Bernard Maris (Marianne 2) - Lundi 28 Janvier 2008 - 07:05

Avec France Inter, la chronique de Bernard Maris, journaliste et écrivain. Où l'on découvre que le prix Nobel d'économie américain trahit Sarkozy, qui lui a confié une mission sur le PIB…

Nicolas Sarkozy a-t-il eu une bonne idée de choisir Joseph Stiglitz pour réfléchir sur la croissance ? Comme chacun le sait, Nicolas Sarkozy n’est pas très satisfait, à juste titre, de notre bon vieux produit intérieur brut comme mesure de l’indice du bonheur, et plus simplement du pouvoir d’achat des Français. Il a donc invité Amartya Sen et Joseph Stiglitz à mesurer le solde de nos plaisirs et nos peines. Et voilà que le père Joseph fait des siennes à Davos ! Il raconte qu’après tout, le temps libre fait partie certainement du niveau de vie. « Les Américains, dit-il, travaillent plus longtemps que les Français. Mais leur bien-être est-il meilleur ? »

Bref, travailler moins pour être plus heureux… Beaucoup d’Américains, de démocrates notamment, pensent comme Stiglitz. Robert Reich, par exemple, l’ancien ministre de Clinton. Et puis le cher Mike Moore ! Vous me direz : faut-il être prix Nobel pour dire des choses aussi éblouissantes comme, je cite toujours Stiglitz : « Quand on n’a pas de temps libre, on ne voit pas sa famille ! » Et je me dis que, pour mesurer le bonheur, il aurait mieux valu faire appel à un prix Nobel de philosophie_ Malheureusement le prix Nobel de philo n’existe pas.

Alors restons avec les prix Nobel d’économie. A prix Nobel, prix Nobel et demi, et un autre prix Nobel, à Davos toujours, s’intéresse lui à la crise financière. Edmumd Phelps, que pensez-vous de la crise ? «Les financiers vont résoudre le problème.» Ca vous fait froid dans le dos. Que pensez-vous des incendies de forêts ? Les incendiaires vont vous régler tout ça, ne vous inquiétez pas. Et quand on pousse Edmund Phelps dans ses derniers retranchements, il avoue : « Les agences de notations n’ont pas assez de recul pour évaluer les produits financiers les plus sophistiqués. » Traduction : les agences de notation ne savent plus évaluer les risques (si tant est qu’elles l’aient jamais su, on se souvient de leurs brillantes évaluations quelques jours avant que la firme Enron ne tombe en faillite). Et Phelps de continuer : « Mais on peut être optimiste. La vie continuera. » Alors là, si la vie continue, vive les prix Nobel.

« Réformons les institutions économiques internationales »

Propos recueillis par Sophie Boukhari
Photo No 1 : © Ulf Andersen/Gamma, Paris
Photo No 2 : © Chris Stowers/Panos Pictures, London

Les « anti-globalisation » en ont fait leur héros, les partisans du tout-marché leur bête noire : « Joe » Stiglizt trouve le monde « injuste » et voudrait le changer. Interview avec le Nobel d’économie le plus controversé de sa génération.

Dans votre ouvrage La Grande Désillusion, vous affirmez que la mondialisation ne marche pas. Pourquoi ?
Parce qu’elle ne profite pas à tout le monde, même si elle profite à certains, voire à beaucoup de monde dans certains pays. Grâce à la mondialisation, la Chine et plusieurs pays d’Asie ont accru leurs exportations. Mais ailleurs, notamment en Amérique latine, les réformes des années 90 ont engendré de l’instabilité économique. Souvent, la croissance est restée très limitée et ses bénéfices ont profité aux riches de manière disproportionnée.

La crise des marchés financiers qui touche les pays riches est-elle liée aux dysfonctionnements de la mondialisation ?
Oui et non. Le problème, ce n’est pas la mondialisation mais les institutions économiques internationales, notamment le FMI, qui ont imposé un certain nombre d’idées: le fanatisme du marché, une certaine vision du capitalisme à l’américaine, vu comme le meilleur, voire le seul, système économique universel. Mais les scandales récents, aux Etats-Unis et ailleurs, montrent que ce système pose de graves problèmes et soulignent le caractère malsain des liens entre les sphères politiques et économiques. Quand je faisais partie des conseillers économiques de la Maison Blanche, nous plaidions pour changer le mode de comptabilisation des stock-options détenues par les cadres d’entreprises. Mais le Trésor, les milieux financiers et les entreprises, qui étaient contre ces réformes, ont réussi à gagner huit années qui ont coûté cher à l’économie américaine.

Quels intérêts spécifiques cette forme de libéralisation sert-elle ?
Certains intérêts en Occident, mais également dans le Sud. Par exemple, la mondialisation des marchés financiers profite à tous les individus qui ont intérêt à spéculer sur des valeurs à court terme. Par ailleurs, certaines règles inégales du commerce, comme celle régissant la propriété intellectuelle, sont le fruit de pressions des laboratoires pharmaceutiques et de l’industrie des loisirs. Elles vont à l’encontre des intérêts de la communauté scientifique et de ceux qui se soucient de la santé et du bien-être des pauvres.

Mais vous ne croyez pas à la « théorie du complot de l’Occident », populaire en Asie et en Russie. Pourquoi ?
Une conspiration suppose que des gens se réunissent et coordonnent leurs actions. A mon avis, ce n’est pas le cas. Mais je crois à l’influence des idées et des politiques. L’idéologie des « fanatiques du marché » est une force très importante, de même que les contributions des milieux financiers aux campagnes électorales des leaders politiques. Le problème, c’est que le processus de décision est anti-démocratique : il n’est pas transparent, et les voix de certains groupes ou de certains pays comptent plus que d’autres.

Quel est l’impact de la mondialisation sur l’éducation, la culture et le partage du savoir ?
Les nouvelles technologies ont permis à certains groupes locaux de s’affirmer, et favorisent ainsi la diversité culturelle. Malheureusement, souvent, la mondialisation a été trop rapide et mal gérée ; elle a rompu l’équilibre des cultures existantes. Dans des sociétés dotées de systèmes traditionnels de solidarité, les institutions internationales ont parfois débarqué avec leurs programmes d’assistance tout faits, laminant les structures locales.

Dans votre ouvrage, vous mettez l’accent sur l’impact considérable des politiques éducatives sur le développement.
Ici, il faut nettement distinguer les positions de la Banque mondiale et celles du FMI. La Banque mondiale soutient des projets éducatifs dans de nombreux pays. J’ai pu observer des réussites, par exemple en Colombie, où des programmes scolaires ont été élaborés pour que les enfants de travailleurs migrants bénéficient d’une continuité éducative. En Ethiopie, la Banque a appuyé la refonte des programmes afin qu’ils soient plus en phase avec le pays réel. Mais les mesures d’austérité du FMI sapent souvent ces efforts, si bien qu’on peut se demander si elles ne sont pas austères à l’excès. En Ethiopie, je peux affirmer que c’était le cas. Les dépenses éducatives sont un investissement crucial pour l’avenir d’un pays. Elles devraient être prioritaires, même s’il faut examiner soigneusement comment l’argent est dépensé.

Que pensez-vous de la tendance croissante à la privatisation des services éducatifs ?
L’expérience montre qu’elle a un impact globalement négatif. Aux Etats-Unis, elle accentue en général la ségrégation, non pas raciale mais sociale. Il est fréquent que les écoles privées affichent de meilleurs résultats mais c’est parce que leurs élèves viennent de milieux favorisés, bénéficient d’une meilleure éducation à la maison, etc.

On dit que les technologies de l’information réduisent le fossé entre riches et pauvres. Etes-vous d’accord ?
C’est vrai lorsque les pauvres sont assez riches pour y avoir accès. Dans des pays comme la Chine, Internet contribue sûrement à réduire le fossé avec le Nord. Mais en Afrique, où l’accès aux nouvelles technologies est quasi inexistant, le fossé continue à se creuser.

En matière de propriété intellectuelle, les pays pauvres ont-ils intérêt à élaborer leurs propres lois ou à laisser se développer le piratage des produits occidentaux ?
Il faut qu’ils aient leurs propres cadres législatifs pour se protéger de la biopiraterie. Aujourd’hui, le jeu est inégal. Les pays en développement n’ont pas les moyens de se battre contre les avocats américains très cher payés par les compagnies occidentales qui pillent leurs ressources. Après le dernier round de négociations commerciales, à Doha fin 2001, ces pays doivent s’unir pour dire « nous devons revoir le régime de la propriété intellectuelle ».

Vous êtes convaincu que la mondialisation pourrait être une bonne chose pour les pauvres. A quelles conditions ?
Il faut qu’il y ait une reconnaissance, dans les pays du Nord, de la nature des inégalités et des problèmes mondiaux. Je pense que dans ces pays, la plupart des gens sont attachés aux principes d’équité et de justice ; s’ils prenaient conscience de ces choses, ils pousseraient leurs gouvernements à agir. Voyez le mouvement Jubilee 2000 pour l’annulation de la dette des plus pauvres.
Mais il faut également réformer les institutions économiques internationales.
Comment ?

Je modifierais le système des votes. Comme les Etats-Unis sont le seul pays à disposer d’un droit de veto au sein du FMI, celui-ci reflète forcément leurs intérêts. Et comme ils sont représentés par le Trésor américain, ce sont les intérêts des milieux financiers qui priment. Je changerais aussi le système de représentation. Si le FMI ne s’occupait que de questions techniques comme les assurances, on ne trouverait rien à y redire. Mais ses politiques touchent aussi à l’éducation, à la santé, etc. Or, les populations affectées n’ont aucune voix au chapitre, absolument aucune.

Que feriez-vous en Argentine aujourd’hui ?
Je cesserais de courir après toujours plus de financements extérieurs, ce qui ne sert qu’à entretenir le système de la dette et à payer les créanciers étrangers. Je me demanderais plutôt : « que faire à l’intérieur du pays ? comment mieux gérer les ressources humaines, qui sont sous-utilisées ? ». L’enjeu, c’est de créer un marché, une demande, et de renflouer les entreprises. J’essaierais, par exemple, d’obtenir un arrangement temporaire avec mes partenaires commerciaux pour qu’ils achètent davantage de mes produits à l’exportation, ce qui ferait rentrer de l’argent frais dans les caisses des entreprises. L’essentiel, c’est de faire redémarrer la machine.

Quelques extraits de La Grande Désillusion
  • « Quand je suis passé à l’international, j’ai découvert que la prise de décision […] était fondée sur un curieux mélange d’idéologie et de mauvaise économie, un dogme qui parfois dissimulait à peine des intérêts privés. »
  • « Peu de gens aujourd’hui défendent cette grande hypocrisie : on prétend aider les pays en développement alors qu’on les force à ouvrir leurs marchés aux produits des pays industriels avancés, qui eux-mêmes continuent à protéger leurs propres marchés. Ces politiques sont de nature à rendre les riches encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres – et plus furieux. »
  • « Le FMI a cessé de servir les intérêts de l’économie mondiale pour servir ceux de la finance mondiale. »
  • « La mentalité colonialiste est restée – la certitude de savoir mieux que les pays en développement ce qui est bon pour eux. »
  • « Aujourd’hui, la mondialisation, ça ne marche pas. Ça ne marche pas pour les pauvres du monde. Ça ne marche pas pour l’environnement. Ça ne marche pas pour la stabilité de l’économie mondiale. »

    1. Paru en français chez Fayard en avril 2002, avant l’édition originale en anglais, sortie chez W.W. Norton en juin 2002 sous le titre Globalization and Its Discontents. Le livre a également été traduit en allemand, espagnol, italien et portugais.
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