Blork et le chômage - Hervé Kempf

Blork et le chômage - Hervé Kempf

Source : Lemonde.fr
Wikipedia
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Blork et le chômage

Blork regardait la pile des messages d’approbation. Bizarre. Aucune critique. Blork devina que les grands mamamouchis se contrefichent des petits blorks. Soudain, il aperçut un bout de papier : "Monsieur Blork, vous m’avez fait de la peine. Vous avez écrit que la crise était une bonne nouvelle. Avez-vous pensé aux chômeurs ? C’est dur. Signé : Blic."

Blork soupira. Il avait été chômeur, il avait connu l’angoisse, il pouvait redevenir chômeur. Il prit sa plume.

Ma chère Blic, quand une voiture fonce à vive allure vers un mur, c’est une bonne nouvelle si un pneu éclate et oblige à s’arrêter très brutalement. Les passagers sont drôlement secoués, ils se cognent la tête et les épaules. Ils ont mal et ils ont peur. Mais ils ne sont pas rentrés dans le mur.

L’important est là : ne pas rentrer dans le mur. Nous approchons de la limite de regénération par la biosphère des effets de l’activité humaine. Percuter cette limite nous plongerait dans un chaos écologique et social qui rendrait enviable le sort des chômeurs d’aujourd’hui. Or, même quand la voiture de l’économie allait très vite, elle ne parvenait pas à trouver un emploi à tout le monde. Le Bureau international du travail (BIT) a constaté que, malgré une croissance de 5 % en 2007, le chômage dans le monde n’avait pas baissé. Pourquoi ? Parce que la productivité n’a cessé d’augmenter depuis trente ans : près de 1,7 % par an dans les pays de l’OCDE. 1,7 % par an, cela paraît peu. Mais cela signifie qu’un même temps de travail produit aujourd’hui 65 % de biens de plus qu’en 1980. En réalité, l’emploi court derrière la productivité comme l’âne derrière la carotte. Il faudrait partager le travail.

Par ailleurs, la part des salaires dans les pays développés - sauf dans quelques pays, dont la France - a reculé de 10 % depuis 1976 au profit des revenus du capital, selon le rapport "Growing unequal" publié par l’OCDE fin 2008. Pour amortir les dégâts du freinage sur les plus pauvres et orienter l’économie dans une autre direction, on pourrait rebasculer cette part de la richesse collective vers le travail. Ça s’appelle partage des richesses.

Enfin, on peut faire des politiques qui créent de l’emploi plutôt que favoriser des intérêts douteux. Par exemple, les mamamouchis veulent créer un deuxième réacteur nucléaire pour 5 milliards d’euros, qui assurera 500 emplois permanents. Le même investissement pourrait financer des travaux d’efficacité énergétique qui créeraient dix fois plus d’emplois. Autre cas : l’agriculture continue à détruire des emplois, parce que la terre se concentre entre quelques mains ; on pourrait créer beaucoup de nouvelles fermes, en changeant les dispositifs d’accès à l’exploitation agricole pour les jeunes.

Alors, chère Blic, si l’ordre du monde ne change pas, vous avez raison, les plus faibles paieront le prix de l’indispensable freinage de l’économie. Mais pourquoi ne pas imaginer que nous pouvons changer l’ordre du monde ? Et commencer à le faire ? Et même les chômeurs ?

Hervé Kempf

D'abord journaliste scientifique pour Science et Vie Micro, le choc de la catastrophe de Tchernobyl le pousse à se consacrer aux questions écologiques. Après avoir fondé Reporterre, travaillé pour Courrier International, La Recherche, il se spécialise sur les questions environnementales au journal Le Monde et reste proche de la mouvance altermondialiste.

Il est élu au conseil de gérance de la Société des rédacteurs de Le Monde.

Dans Comment les riches détruisent la planète, il souligne les liens entre crise sociale et la crise écologique et tente d’expliquer pourquoi aucune solution décisive n'est mise en place pour remédier à la seconde au sein de nos sociétés contemporaines.

Suite au succès de cet ouvrage traduit en plusieurs langues, il approfondit sa réflexion dans Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, livre axé sur le système capitaliste.

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